Cette édition donne à lire les deux derniers recueils d’Odysseas Elytis, prix
Nobel de littérature, dans une version bilingue, Les Élegies d’Oxopétra, publié
en 1991, et À l’ouest de la tristesse, paru en 1995 un an avant la mort du poète
grec. Elytis y déploie toute la force tellurique du poème, dans une langue
incantatoire qui submerge le monde, le révèle dans sa dimension solaire, dans
une profusion d’éléments coutumiers chez le poète : les vagues de cette « mer
affamée », la lumière de l’été, la terre dure et tout l’entrelacs, toute la
confusion des golfes, des archipels et des horizons. S’il est « minuit passé
dans toute ma vie » dit Elytis, il ne reste pas moins les dieux, les
éblouissements, les êtres aimés roulés dans les vagues, une nuance tragique de
l’existence, une légende dans ces élégies qui transfigurent la mort et la
souffrance. La lumière recouvre tout en un jeu de réverbération entre les
images, et rebondit à la surface des choses – parfums d’herbes brûlées,
oliveraies, flèches de clochers, montagnes antiques – pour en révéler la
puissance, la clarté, l’odeur et la vitalité. Lumière qui révèle des souches
plus sombres aussi, à la fois invoquées et révoquées dans une lutte sauvage,
abîmes dissous dans les reflets du soleil sur les vagues, monstres changés en
oiseaux. « L’extérieur est un miroir » et la langue ici chargée d’histoire, de
citrons et de lauriers va chercher au-dehors le plus vaste et le plus
éblouissant ce qui s’agite en soi dedans. Nous voilà plongés dans la trame du
destin, plongés en nous-mêmes dans le monde, car « c’est dans le corps que la
nature habite » et quelle autre révélation possible que celle de notre
mortalité, même solaire, nous qui sommes de passage sur une terre en proie à une
tout autre éternité que la nôtre ? Jamais crépuscule n’aura été aussi lumineux
que dans ces derniers textes, où Elytis cherche à saisir une jeunesse
immortelle, dotée de la durée des siècles, mais aussi fragile et gracile - une
enfance, dans un mouvement qui voudrait donner le vertige à la mer elle-même, «
tout passe moins le poids de l’âme », oui, et « la Poésie seule est ce qui
demeure. »