Dans ce classique de la critique féministe publié en 1983 aux États-Unis et
traduit pour la première fois en français, Joanna Russ dresse un panorama acéré
des techniques d'empêchement, d'effacement et de dénigrement qui s'abattent
depuis des siècles sur les femmes qui osent prendre la plume.Ce déni d'écriture
mobilise tout un arsenal de procédés informels, plus subtils qu'une censure
frontale. Cela commence par le travail domestique et la privation de temps qu'il
implique. Cela se prolongepar le découragement actif des vocations, les soupçons
récurrents d'imposture (" Ce n'est pas elle qui l'a écrit "), le mépris des
œuvres et des sujets (" C'est bien elle qui l'a écrit, mais elle aurait mieux
fait de s'abstenir ") et, in fine, la relégation des rares écrivaines ayant
acquis une certaine notoriété au statut d'anomalie (" Mais d'où sort-elle, pour
avoir écrit ça ? ").En décortiquant les stratagèmes du sexisme ordinaire dans le
monde des lettres, Russ signe un formidable anti-manuel de silenciation des
femmes autrices, qui n'a perdu ni de son actualité ni de sa force critique. Tout
en attaquant la tradition misogyne, elle trace aussi en pointillé une autre
traversée de la littérature anglo-saxonne, sur les pas de Jane Austen, Mary
Shelley, Emily Brontë, George Eliot, Emily Dickinson, Virginia Woolf, Adrienne
Rich ou Ursula Le Guin.