Le Bleu ne te va pas est le premier roman de l’autrice allemande Judith
Schalansky dont l’œuvre – qui comprend notamment L’atlas des îles abandonnées
(Arthaud, 2010) et Inventaire de choses perdues (Ypsilon, 2023) – est désormais
reconnue dans le monde entier et traduite dans plus de vingt-cinq langues. Ce «
roman marin » et d'apprentissage est un texte d’une grande force poétique sur le
lointain, l’étranger, l’inatteignable. Dans une Allemagne de l’Est aux
frontières infranchissables, Jenny, une petite fille qui grandit au bord de la
mer, se rêve en matelot et aspire à sillonner le monde par les mers. L’élégant
costume bleu et blanc des marins la fascine comme la promesse d’un ailleurs,
mais sa grand-mère est formelle : « le bleu ne [lui] va pas », et Jenny ne
deviendra pas matelot. Après la réunification allemande et la disparition de son
pays de naissance, la Jenny adulte fait l’expérience de l’ouverture des
frontières, mais aussi de la réécriture de l’histoire et de l’inversion des
systèmes de valeurs. Les voyages qu’elle entreprend alors, toujours obsédée par
les figures de marins et leur androgynie, sont des circulations dans l’espace
autant que dans le temps. S’y mêlent visions du présent, traces de l’histoire et
plongées dans les œuvres du cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein et de la
photographe américaine Claude Cahun. Dans un récit qui combine les perspectives
enfantines – celles de Jenny, du petit Eisenstein ou encore du dernier prince
héritier de l’empire russe – et les regards adultes, les frontières physiques,
temporelles et de genre se distendent et s’estompent, les images se superposent
et les époques dialoguent. Les ironies et paradoxes de l’histoire – petite ou
grande, collective ou personnelle – apparaissent alors avec une clarté
singulière.