Muriel Pic s’était déjà approchée du théâtre en donnant la parole à d’illustres
défunts sur une scène imaginaire, dans ses récents Dialogues des morts sur
l’amour et la jouissance, Rosa Luxemburg (dont Muriel Pic a récemment édité
L’Herbier de prison, accompagné d’un choix de lettres) y faisait d’ailleurs une
apparition. On sait que Bertolt Brecht désirait écrire une pièce sur le destin
tragique de la révolution- naire allemande et Le Dernier Printemps de Rosa
Luxemburg pourrait donc apparaître comme la réalisation de ce souhait. Or Muriel
Pic a eu la bonne idée de faire du dramaturge allemand un personnage, mais dans
une pièce qui prend le contre-pied de celle qu’il aurait souhaitée, et qui
réintroduit l’amour (« car seul l’amour est révolutionnaire ») et donc la vie
dans ce qui n’aurait été que propagande, autant dire lettre morte (pour Brecht,
« une bonne révolutionnaire est une révolution- naire morte »). Outre Mathilde
Jacob, la secrétaire à qui l’on doit la préservation des archives de Rosa, et
Brecht, les deux protagonistes sont Rosa Luxemburg elle-même, au printemps de
1918 alors qu’elle est emprisonnée à Breslau, et Arthur Gertel, le jeune soldat
qui a été chargé de veiller sur elle (et qui a laissé, écrit en français, un
émou- vant témoignage de son expérience). À partir d’une admirable lettre de
Rosa placée en épigraphe, la pièce imagine l’amour qui naît entre la prisonnière
(qui sait que ce sera pour elle la dernière occasion de rejouer l’histoire de
Phèdre et Hippolyte) et son gardien (qui, malgré son refus des illusions, se
demande si elle ne l’a pas ensorcelé). Elle se termine de façon merveilleuse par
un escamotage d’illusionniste, triomphe d’une imagination capable, Brecht
lui-même finit par en convenir, de changer le cours immuable de l’histoire et de
transformer la tragédie en comédie. Le choix de faire parler ses personnages
dans un vers libre d’un grand naturel contribue aussi à l’impression que nous
avons d’assister à la représentation d’un « conte scintillant ».