Chef-d’œuvre inachevé du plus grand poète du Siècle d’or espagnol, Les Solitudes
n’ont été véritablement publiées qu’après la mort de Góngora, mais des copies
manuscrites circulent dès 1613 suscitant aussitôt une polémique entre
adversaires et défenseurs de la nueva poesia. Les accu- sations d’obscurité et
d’affectation se prolongeront pendant un demi- siècle. Ce long poème narratif
est écrit dans un genre aussi nouveau par le sujet (la vie rustique) que par la
forme (la silva) où se mêlent libre- ment les vers de 11 et de 7 syllabes,
permettant à Góngora d’y déployer ses phrases sinueuses, foisonnantes de
métaphores. L’argument, résumé par Ungaretti, en est le suivant : un jeune
homme, repoussé par celle qu’il aime, aborde après un naufrage à un rivage. Des
chevriers l’accueillent. Le lendemain, il rencontre des montagnards chargés de
cadeau de mariage. Il est invité à la noce par un vieillard qui se lance dans
une longue diatribe contre l’ambition. Puis c’est la description des fêtes
nuptiales. Dans la seconde solitude dite « des fleuves », on retrouve le
naufragé mêlé à des scènes de pêche et d’amour, au quatrième matin il assiste,
de sa barque à une chasse au faucon. Mais, comme l’écrit son traducteur français
: « on ne doit pas se lais- ser égarer par l’affabulation outrageusement
conventionnelle des Solitudes ; l’histoire de cet amoureux “dédaigné, naufragé
outre qu’absent” n’est qu’un cadre à l’intérieur duquel peut déferler toute la
richesse du monde : prés, plages et forêts ; agneaux, lions, serpents et faucons
; océans et promontoires ; toutes les espèces d’eaux, de feux et de lumières ;
astres et vents ; comme, aussi bien, tous les travaux et les plaisirs des
hommes, de la plus petite chose qu’il prend dans sa main pour la manger, huître
ou noix, aux plus vastes espaces qu’il aborde et jalonne. » Plus encore, ce qui
fait de Góngora un maître, c’est que la tension verbale et l’acuité du regard
(transcrite sans aucune perte dans les mots) est « au service des métaphores
qui, inventées, reprises et mises en jeu avec maîtrise, audace et enthousiasme,
produisent à partir du réel un monde nouveau, dont les limites sont autrement
réparties, l’éclat plus souverain et plus exaltant. »