Nous avons souhaité rassembler dans cette édition deux textes d’Odysseas Elytis,
réunis par la lumière du soleil. Soleil premier (1943) et Soleil soleilleur
(1971) paraissent à presque trente années d’intervalle, dans des époques de la
vie du poète et des contextes historiques et politiques très différents. Pour le
premier, jeune soldat, il revient blessé et malade du front albanais de la
Seconde guerre mondiale. Pour le second, déjà reconnu comme l’un des plus grands
poètes grecs, il écrit pour un peuple qui après des années de guerre civile,
d’instabilité politique et de corruption étatique, subit la dictature des
Colonels. Soleil premier semble vouloir évacuer le souvenir de la guerre par sa
nature lumineuse et porteuse d’espoir, déployant un lyrisme intime, érotique et
égéen qui célèbre cette terre grecque qui « s’enracine dans la mer » et qui est
« le cœur de sa poétique » selon sa traductrice Lætitia Reibaud. Elytis atteint
là un équilibre miraculeux, soutenu par la puissance de la mer, des oliviers,
des agrumes et des oiseaux, se hissant au point d’incandescence maximal du poème
qui apparaît comme le « corps de l’été nu brûlé ». Porté par des « vents de fête
» et des « caresses d’héliotropes », le poème est un tournis, un éternel
recommencement de la beauté qui plonge les corps dans l’irradiation du soleil.
Une transfiguration s’opère alors, la mer devient la terre, les herbes dans le
vent se font écume, les algues sont le ciel, le masculin devient féminin, et
nous emporte dans l’émoi de l’exaltation amoureuse, ou dans la course d’un
enfant qui passe sur le petit pont entre la mer et l’église, entre les figuiers
et les galets. Nous buvons ces poèmes comme une eau fraîche un jour de soleil,
entourés par « le bruissement de la mer perpétuelle » et « les cigales dans les
oreilles des arbres », tournons les pages entre rêve et griserie, avec cette
sensation de saisir pleinement la lumière, de la faire jaillir « du sommet du
ciel jusqu’au fond du cœur ». Cet éblouissement se prolonge dans Soleil
soleilleur, poème versifié destiné à être mis en musique et chanté et qui
affirme la bienfaisance et la toute-puissance de l’astre solaire, dans lequel il
dialogue tour à tour avec le narrateur au vers bref et léger, les vents qui font
le tour des îles de leur souffle solennel et le chant sautillant et espiègle
d’une fillette, qui pousse ses chœurs vers une forme d’assomption. C’est
toujours vers le soleil que se tourne le poète dans la tourmente, comme éternel
« veilleur » et protecteur de cette terre grecque qui est chez Elytis celle de
l’éros et de la lumière.