Dans la longue histoire du cinéma japonais, celle qui englobe la décennie
soixante-dix fut un tournant. Considérée parfois comme un âge d'or, parfois
comme le début de la fin, elle fut en tout cas celle de tous les excès et un
moment aussi rare que décisif. Comme à Hollywood ou à Cinecittà, une boîte de
Pandore est ouverte, les films accusent la soif de liberté et de nouveauté d'un
monde qui n'a plus peur de tout voir et de renverser les tables. Avec Soleil
Rouge, Stéphane du Mesnildot raconte comment le Japon fut non seulement lui
aussi un laboratoire cinématographique de la contre-culture et des idéaux
libertaires, mais aussi et surtout l'un de ses foyers les plus fascinants,
contraint sans cesse de s'adapter à un contexte, une industrie, des codes, une
vision du monde qui ne ressemble à aucune autre. Film de sabre, d'espionnage, de
yakuzas, de tireurs d'élite, de gangs féministes, de prisonnières vengeresses
avant de plonger dans les eaux troubles de l'érotisme (le fameux pinku), cette
révolution passe le plus souvent par les marges. Un cinéma du peuple, parfois
malfamé, insalubre, souvent génial, brûlant, provocant, vivifiant, expérimental,
révolutionnaire, ultraprogressiste puis soudain conservateur. Un cinéma
sulfureux, fascinant et riche, où la plupart des grands cinéastes de l'époque se
côtoient parfois pour un ultime tour de piste avant de se faire écraser par les
années 1980 et la boule à facettes du capitalisme.