Sans doute en raison de son retrait volontaire — il passa la dernière partie de
sa vie dans l’île grecque de Patmos — on commence à peine aujourd’hui à mesurer
l’influence de Robert Lax (1915-2000) sur les poètes américains qui furent ses
contemporains, et aujourd’hui, sur beaucoup de jeunes auteur-e-s, à mesure que
son œuvre se trouve traduite. Parmi ses nombreux correspondants, c’est avec le
moine trappiste Thomas Merton (1915-1968) que l’échange est parmi les plus
intenses et les plus riches car ils sont amis d’enfance, tous deux poètes, tous
deux philosophes et préoccupés par des questions de langage et des problèmes
métaphysiques.
Leur correspondance est pour l’un comme pour l’autre un espace d’échanges
intenses, un lieu à la fois existentiel et poétique. Tous deux, poètes du
concret et de la matérialité des choses (le dispositif spatial utilisé par Lax
en témoigne de manière radicale), sont (le paradoxe n’est qu’apparent) animés
par une grande soif d’abstrait, une intense quête de spiritualité. Irréductibles
figures solitaires, voire érémitiques, Lax et Merton se placent aussi, leur vie
durant, au centre d’un dense réseau d’échanges amicaux, artistiques et
intellectuels qui relie leurs proches, professeurs, amis, parents, éditeurs.
Ces lettres sont aussi un réservoir de réflexions et de propos ouverts sur les
pays où Lax et Merton séjournent, sur l’actualité politique qui les affecte
comme individus et citoyens inquiets de la marche du monde. L’univers intime et
tout à la fois universel de Lax et Merton est esquissé, élaboré, repris,
reproposé sous des formes nouvelles d’une lettre à l’autre, les interrogations
existentielles de l’un faisant écho aux préoccupations éditoriales de l’autre,
les élaborations artistiques du poète solitaire des Îles grecques répondant aux
observations quotidiennes de l’ermite trappiste de Gethsemani : entre l’un et
l’autre, une correspondance, comme laboratoire de l’existence et de la poésie.