Longtemps sous-évaluée dans la tradition exégétique, la Critique de la faculté
de juger (1790) réapparaît aujourd'hui, au fil du libre dialogue entretenu avec
elle par une série de philosophes contemporains, pour ce qu'elle est vraiment :
le couronnement du criticisme en même temps que l'un des plus profonds ouvrages
auxquels la réflexion philosophique a donné naissance. En organisant sa
réflexion autour de trois axes (la finalité de la nature, l'expérience
esthétique, les individualités biologiques), Kant affrontait le problème de
l'irrationnel qui, à travers le défi lancé aux Lumières par Jacobi, faisait
vaciller la toute-puissance de la raison. Cette traduction, qui invite à relire
la Critique de la faculté de juger à partir de sa première introduction, laissée
inédite par Kant, montre que consolider la rationalité, c'était aussi sauver
l'unité de la philosophie par la mise en évidence de l'articulation entre raison
théorique et raison pratique. Véritable lieu de la politique kantienne selon
Hannah Arendt, émergence d'une pensée de la communication selon Jürgen Habermas
ou Karl Otto Apel, la dernière des trois Critiques constituait ainsi, surtout,
la réponse la plus subtile de la modernité à l'antirationalisme naissant.