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Dans le prolongement de l’Occupation du monde paru en 2018, Généalogie de la
morale économique expose quelques-unes des voies par lesquelles s’est constitué
l’imaginaire économique qui gouverne les sociétés occidentales et entrave
l’appréciation de la catastrophe environnementale produite par l’expansion du
capitalisme industriel et financier. Cet imaginaire forme une idéologie d’autant
plus oppressante qu’elle se présente comme pure expression d’une nature humaine.
Sous couvert de neutralité, elle constitue une morale inflexible qui enjoint à
chacun de prendre une part active dans le cycle des opérations économiques. La
démarche généalogique permet de restituer les dynamiques culturelles et sociales
à travers lesquelles s’est formé, dans la longue durée, cette figure très
particulière de l’humanité qui en vient à détruire méthodiquement les conditions
de possibilité de sa survie. Il y a plus de 130 ans, Friedrich Nietzsche
vitupérait la morale bourgeoise et ses hypocrisies, issues d’un christianisme
déclaré « ennemi de la vie ». À l’âge de l’opulence, il n’y a plus guère de
motif de faire porter la critique sur les conséquences délétères des « idéaux
ascétiques ». La question qui se pose est plutôt de comprendre ce que signifient
les idéaux économiques et le cheminement souterrain qui a fait procéder les
seconds des premiers. Nous avons à déchiffrer, pour parler comme Walter
Benjamin, l’affinité qui a permis au capitalisme de proliférer comme un parasite
sur le christianisme Le livre se compose d’une douzaine d’études, distribuées en
deux parties. Dans un premier temps, il sera surtout question d’explorer les
mythologies chrétiennes liées au travail, en premier lieu celle qui sont issues
du livre de la Genèse. En observant l’apparition d’une iconographie médiévale
d’Ève filant la laine après l’expulsion, ou l’interprétation du verset (Gn 2,15)
qui indique qu’Adam a été placé au jardin d’Éden « pour le cultiver et le garder
», on verra comment s’est formée l’idée que l’être humain, homme ou femme, est
naturellement destiné à accomplir un travail productif, histoire dans laquelle
saint Augustin et Luther marquent des inflexions notables, mais qui débute avec
la rédaction de la Genèse au VIIe siècle avant notre ère. L’obsession d’un usage
efficace du temps, qui est au cœur de « l’esprit du capitalisme » décrit par Max
Weber, dérive d’une très ancienne structuration monastique de la temporalité,
occupée à la prière et au travail manuel, qui a été puissamment relayée à
l’échelle de la société entière par la pastorale du Moyen Âge central. Le bon
usage de ce temps, par la vertu de l’« industrie », fait apparaître l’histoire
plus complexe d’une dimension qualitative du travail qui s’appauvrit brusquement
au XVIIIe siècle, quand l’industrie s’applique, non plus à l’invention et
l’habilité humaine, mais à l’action des machines. Le second volet du livre est
consacré à l’examen d’une série de notions et d’institutions fondamentales pour
les pratiques et l’analyse économique contemporaines, dont l’histoire remonte
souvent au Moyen Âge central. La mise en évidence de leur profondeur historique
permet de mieux faire sentir les sous-entendus qu’elles véhiculent. On
s’intéressera en particulier à l’histoire du concept de valeur, néologisme du
XIe siècle, thématisé pour la première fois par Albert le Grand. L’ensemble du
réseau notionnel qui lui est lié dans l’analyse scolastique du juste prix
(utilité, rareté, besoin) permet de rectifier le préjugé habituel d’une
émergence de la pensée économique à l’époque des Lumières. À titre de
confirmation, on verra que l’imaginaire du « choix rationnel » est une
reformulation de la théologie chrétienne du libre-arbitre. Les notions de «
capital » et de « risque » qui émergent dans le commerce méditerranéen du XIIe
siècle, sous la plume de notaires pisans, sont également liées à une notion de
responsabilité individuelle. L’histoire de l’institution monétaire conduit elle
aussi à identifier une origine médiévale, associée à l’émergence d’une
conception de la souveraineté territoriale au XIVe siècle. Une relecture des
débats sur l’usure permettra de comprendre que, loin de représenter un
archa��sme dépassé, l’interdit permet d’exprimer l’existence d’une sphère de
moralité supérieure, faite de rapports fondés sur la bienveillance et la
gratitude, sans laquelle la sphère inférieure de l’échange utile et intéressé
serait tout simplement invivable. Sur la base d’une critique historique de la
conceptualité et de l’imaginaire économique, il sera possible formuler, en
conclusion, quelques propositions en faveur d’une morale écologique, qui
subordonne la recherche de l’efficacité économique à la préservation des milieux
de vie et de la justice sociale. Ce travail d’histoire intellectuelle de longue
durée, englobant l’ensemble du second millénaire chrétien (avec une excursion
ponctuelle dans l’histoire biblique et patristique), mené selon les canons de la
recherche érudite, assume une orientation explicite vers la formulation d’une
philosophie politique écologique adaptée aux conditions de la crise actuelle.
Généalogie de la morale économique
€23,00
Taxes incluses.