Le narrateur de ce récit - un mari qui surveille sa femme - est au centre de
l'intrigue. Il reste d'ailleurs en scène de la première phrase à la dernière,
quelquefois légèrement à l'écart d'un côté ou de l'autre, mais toujours au
premier plan. Souvent même il s'y trouve seul. Ce personnage n'a pas de nom, pas
de visage. Il est un vide au cœur du monde, un creux au milieu des objets. Mais,
comme toute ligne part de lui ou s'y termine, ce creux finit par être lui-même
aussi concret, aussi solide, sinon plus. L'autre point de résistance, c'est la
femme du narrateur, A..., celle dont les yeux font se détourner le regard. Elle
constitue l'autre pôle de l'aimant. La jalousie est une sorte de contrevent qui
permet de regarder au-dehors et, pour certaines inclinaisons, du dehors vers
l'intérieur ; mais, lorsque les lames sont closes, on ne voit plus rien, dans
aucun sens. La jalousie est une passion pour qui rien jamais ne s'efface :
chaque vision, même la plus innocente, y demeure inscrite une fois pour toutes.
Publié en 1957 aux Éditions de Minuit, La Jalousie est, comme Les Gommes, l'un
des ouvrages emblématiques du Nouveau Roman et de l'œuvre d'Alain Robbe-Grillet
(1922-2008).