En 1854, alors qu'il est déjà célèbre dans son pays grâce à La foire aux vanités
et à son autobiographie, Pendennis (1850), plus célèbre encore aux États-Unis
d'où lui est venue la renommée, William Makepeace Thackeray est à Rome. C'est au
moment de Noël, pour ses filles, qu'il imagine la trame d'un conte de fées qu'il
décrit comme une pantomime à jouer au coin du feu. De fait si tous les
personnages du conte de fées sont bien réunis, c'est d'une parodie bien
burlesque qu'il s'agit : la chronique politique, militaire, psycho-physiologique
et amoureuse du règne de Valoroso XXIV, roi souverain de Paphlagonie. La rose et
l'anneau met en scène des idiots royaux, rois usurpateurs et princes dépossédés
de leur trône légitime, le tout mené sous la baguette de la fée Bâton-noir qui
complique les relations amoureuses en jetant entre tous les protagonistes un
anneau magique et une fleur à la boutonnière qui rendent ceux qui les porte
irrésistibles. Thackeray n'épargne aucun de ses nobles personnages, tour à tour
contraints de tenir d'horribles promesses, d'affronter des lions affamés dans
une arène, de parcourir la campagne en haillons ou d'espérer un sursis de
dernière minute. Conte pour enfants de son temps, La rose et l'anneau est bien
plus un conte pour adultes qui résume tout ce que l’écrivain est à
quarante-trois ans – notablement son goût pour l’Histoire, son obsession du
snobisme, son effort vers une liberté de ton devant laquelle il a renâclé
jusque-là, allant jusqu'à pasticher malicieusement Rebecca et Rowena de Walter
Scott. À l'origine du récit, un épisode du temps désastreux : la guerre de
Crimée, qui débute en 1853 et donne à Thackeray le vocabulaire et la carte des
opérations. Il s’agissait alors de défendre l’Empire ottoman contre l’invasion
russe. La Crime-Tartarie est la Russie, les Paphlagoniens sont les Turcs. Parti
de là, le conteur se réfugie dans les Temps Reculés, et les parsème d’allusions
contemporaines anglaises, allusions à des jeux, à des sports, à des nuances de
comportement, à l’université de Cambridge où il fit ses études. Cette
transposition taquine le conduit à suggérer, sur un canevas de bêtises, de
traîtrises et de catastrophes, la malfaisance satisfaite de la comédie politique
et, à travers elle, la pérennité du malheur humain. Difficile de ne pas y voir
de multiples résonances avec notre monde présent. Pour de nombreux critiques, La
rose et l'anneau, tant par les similitudes d'écriture (conte imaginé pour des
enfants que les auteurs couchent ensuite sur le papier), que par la fantaisie
que les deux textes se permettent pour se moquer de ses contemporains, précède
et annonce Alice aux pays des merveilles, de Lewis Caroll. L'autre rapprochement
qui s'impose l'est avec Ubu Roi d'Alfred Jarry, tant les analogies entre les
deux textes sont légion.