Presque tous les romans racontent une histoire avec un personnage central et
quelquefois un narrateur qui ne se confond pas avec lui. Le roman que vous allez
lire ne fait pas exception. Mais il s'appelle Le narrateur, et le narrateur du
Narrateur n'est pas celui auquel on s'attendrait. C'est quelqu'un d'autre, et
qui ne dit jamais "je", mais qui suit à la trace un monsieur très normal (à ceci
près qu'il est lui aussi narrateur, c'est-à-dire sans doute romancier) dans une
limpide histoire d'amour où tous les autres personnages se conduisent d'une
façon embarrassée ou équivoque, justement parce qu'ils devinent ou n'ignorent
pas son activité de narrateur, de voleur plus ou moins innocent (mettons : de
kleptomane), partout où se présentent un être, une situation, un décor ou un
paysage qu'il pourrait s'approprier pour un de ses romans. Il se sent lui-même
si troublé qu'il a préféré n'être pour une fois qu'un personnage, laisser faire
l'auteur qui, sur ce thème, et à son habitude, danse littéralement une histoire
toute de fantaisie délicate, d'intelligence et de vérité.