« Dans ce roman policier, il n'y a ni police, ni intrigue policière. Peut-être y
a-t-il un crime, mais il n'est sans doute pas le crime d'apparence dont le livre
cherche, avec trop de préméditation, à nous convaincre. Mais il y a une
inconnue. Durant les heures que Mathias, le voyageur de commerce, a passées dans
le petit pays de son enfance pour y vendre des bracelets-montres, s'est glissé
un temps mort qui ne peut être récupéré. De ce vide, nous ne pouvons nous
approcher directement ; nous ne pouvons même pas le situer à un moment du temps
commun, mais de même que, dans la tradition du roman policier, le crime nous
conduit au criminel par un labyrinthe passionnant de soupçons et d'indices, de
même, ici, nous soupçonnons peu à peu la description minutieusement objective,
où tout est recensé, exprimé et révélé, d'avoir pour centre une lacune qui est
comme l'origine et la source de cette extrême clarté par laquelle nous voyons
tout, sauf elle-même. Ce point obscur qui nous permet de voir, voilà le but de
la recherche et le lieu, l'enjeu de l'intrigue. Comment y sommes-nous conduits ?
Moins par le fil d'une anecdote que par un art raffiné d'images. La scène à
laquelle nous n'assistons pas n'est rien d'autre qu'une image centrale qui se
construit peu à peu par une superposition subtile de détails, de figures, de
souvenirs, par la métamorphose et l'infléchissement insensible d'un dessin ou
d'un schème autour duquel tout ce que voit le voyageur s'organise et s'anime.
Mais je crois que ce qui donne à ce livre sa beauté et son attrait, c'est
d'abord la clarté qui le traverse, et cette clarté a aussi l'étrangeté de la
lumière invisible qui éclaire d'évidence certains de nos grands rêves. »
(Maurice Blanchot, La Nouvelle Nouvelle Revue française) Couronné par le prix
des Critiques lors de sa parution en 1955, Le Voyeur fit l'objet d'un très vif
débat littéraire, connu sous le nom de « La Querelle du Voyeur ».