La très importante rétrospective Nicolas de Staël qui se déroule, du 15
septembre 2023 au 21 janvier 2024, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
nous incite à rendre plus accessible encore l’unique recueil de ses lettres
complètes, publié pour la première fois en 2014 et réimprimé dans une édition
augmentée en 2016. C’est l’intégralité de ce volume qui est ici repris, sous une
forme plus compacte grâce au papier plus fin mais tout aussi lisible, avec en
annexe quatre lettres inédites au critique Georges Duthuit qui ont été
retrouvées depuis. Sur la vie d’un artiste de cette importance, les lettres
constituent un témoignage aussi capital, aussi passionnant que le sont par
exemple celles de Van Gogh à son frère Théo et à ses proches. Ce qu’écrivait
André Chastel dès leur première publication en 1968 : « Le public ignore en
général l’ampleur et l’intérêt exceptionnel de cette correspondance qui [...]
livre en quelque sorte l’autobiographie du peintre, dans le rythme même du vécu,
dont aucun récit ne serait capable de restituer la puissance et la fierté » est
non seulement toujours vrai, mais l’est même davantage encore car le corpus dont
parlait l’historien s’est depuis enrichi de plus de 200 lettres inédites, dont
une grande part de celles à Françoise Chapouton, sa deuxième épouse, et surtout
toutes les lettres conservées par Jeanne Polge, pour laquelle le peintre éprouva
une passion dévorante et qui éclairent d’une lumière nouvelle ses dernières
années. L’appareil critique de Germain Viatte, ancien directeur du Musée
national d’art moderne, permet de comprendre le contexte dans lequel les lettres
sont écrites et par conséquent de lire ce livre comme la plus complète et
éclairante des biographies. Le texte de Thomas Augais, qui vient en postface,
souligne à juste titre combien l’écriture a tenu une grande place dans la vie du
peintre, et quels furent ses rapports à la poésie. C’est Staël dans son
agitation, ses voyages, ses conflits, ses professions de foi, ses violences, ses
hésitations... On y trouve aussi bien le récit des années de formation en
Espagne et au Maroc que, dans la période des « lettres d’affaire », lorsque la
gloire est venue, le dialogue avec des personnalités comme René Char, Pierre
Lecuire ou Paul Rosenberg. Comme le résumait parfaitement Chastel : « Les
lettres apportent donc tout ce qu’on a besoin de savoir — et au-delà — de
Nicolas de Staël. Elles font paraître et parfois scintiller la constellation de
personnes, de noms, d’intérêts, de curiosités qui accompagne, avec des
changements nombreux et des évanouissements passagers, le parcours d’un être
fort. »