Ce livre n'a pas été écrit pour évoquer les embarras qui viennent à l'homme de
son langage, malentendus, stupéfactions, inhibitions, méfiances de toutes
sortes. Ils ne servent qu'à introduire la préoccupation qui y est appelée
métaphysique, pour qu'on la distingue des recherches sémantiques, stylistiques,
ou psychologiques : qu'à force de souffrir parce qu'on n'a pas dit, ou qu'on a
mal dit, ce qu'il y avait à dire, et qui reste à peser sur le coeur, on en
arrive à se demander pourquoi il ne suffit pas de vivre, mais qu'il faille
encore le dire, pourquoi nous ne savons pas nous entendre sans avoir besoin de
parler, comme le font les abeilles ou les corbeaux. Car notre langage n'est pas
qu'un code de signaux plus compliqué qu'un autre. Il est l'aventure de la
pensée, des mots qui sont là depuis toujours, semble-t-il, qu'on tourne et
retourne, sans voir où ils mènent. Nous ne savons pas, non plus, d'où il nous
est venu. L' hypothèse actuelle de l'évolution, serpent, oiseau, singe, puis
homme criant d'abord, parlant ensuite, est assez terrible, à la réflexion. Notre
civilisation des livres paraît signifier que la destination de l'homme est de se
transformer en des mots qu'autrui a le pouvoir de ne pas écouter. Le ressort de
la philosophie classique était le langage vrai. Y en a-t-il un ? Celui de la
dialectique moderne pourrait être le mensonge vraisemblable, prenant une allure
de cérémonie, avec la littérature pour modèle. Il faut un soubassement à un tel
édifice. C'est de cette métaphysique qu'il est question ici.