"Nous ne voyons plus le monde en manière grossière et projective : et par
exemple, comme hier, cinq continents, quatre races, plusieurs grandes
civilisations, des périples de découvertes et de conquêtes, des avenants
réguliers à la connaissance, un devenir à peu près devinable. Nous entrons
maintenant et au contraire dans un infini détail, et d'abord nous en concevons
de partout la multiplicité, qui est inétendue, et qui pour nous est indémêlable,
et sans prédiction. Il n'y a pas que cinq continents, il y a les archipels, une
floraison de mers, évidentes et cachées, dont les plus secrètes nous émeuvent
déjà. Pas que quatre races, mais d'avant aujourd'hui d'étonnantes rencontres,
qui ouvraient au grand large. Elles étaient là, nous les voyons. Il n'y a pas
que de grandes civilisations, ou plutôt : la mesure même de cela qu'on appelle
une civilisation cède à l'emmêlement de ces cultures des humanités, avoisinantes
et impliquées. Leurs détails engendrent partout, de partout, la totalité. Le
détail n'est pas un repère descriptif, c'est une profondeur de poésie, en même
temps qu'une étendue non mesurable. Ces inextricables et ces inattendus
désignent, avant même de les définir, la réalité ou le sens du Tout-monde."
Édouard Glissant.