Par son ampleur, sa fluidité formelle, son timbre testamentaire, Sable mouvant
cristallise tout ce qu'une vie peut transmettre d'expérience, d'intuition, de
lumière visitée. Cette alliance rare de pensée et de grâce fait passer, dans le
champ de la poésie vécue, comme un souffle de révélation : ici, une voix fragile
et souveraine change une destinée, même à son terme terrestre, en un mouvement
d'approche. "De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement
remarquable pour la gagner, ni pour la perdre", avouait Pierre Reverdy, pour
souligner de la façon la plus légère et la plus ironique qui soit combien sa
biographie n'était pas celle d'un carriériste des lettres. Né à Narbonne en
1889, Pierre Reverdy avait fondé la revue Nord-Sud, qui annonçait le surréalisme
avec quelques années d'avance. Dès 1926, il se retirait près de l'abbaye de
Solesmes où il demeurait jusqu'à sa mort, en 1960. Lui qui avait anticipé bien
des avant-gardes s'était éloigné, quand des suiveurs plus tacticiens
commençaient à occuper le haut du pavé littéraire. La mise à distance était ce
qui fondait à la fois son existence et son écriture. "La poésie, c'est le
bouche-abîme du réel désiré qui manque", disait-il. Son oeuvre s'impose
désormais, solitaire et inégalée, au point que l'on a pu suggérer qu'il n'était
pas poète : il était la poésie même.