Après Nous ne jouons pas sur les tombes, ouvrage paru en 2015 qui présentait un
choix de poèmes de l’année 1863 – la plus prolifique de l’auteur – nous
poursuivons la publication des œuvres d’Emily Dickinson avec Ses oiseaux perdus,
qui se concentre sur les 5 dernières années de sa vie (1882-1886). Ce sont les
années du deuil et de l’esseulement progressif. Sa mère disparaît en 1882, son
neveu favori, Gilbert, est emporté par la typhoïde l’année suivante et son ami
intime, le juge Otis. P. Lord, avec lequel elle entretient une correspondance
passionnée, meurt en 1884. La poésie de Dickinson semble se resserrer avec le
temps, au fur et à mesure de ces disparitions, des charges domestiques de plus
en plus pesantes, et de la maladie qui l’affaiblit et finit par l’emporter. Elle
sent le vide autour d’elle, elle se sent entourée d’êtres de poussière et
comprend qu’être seule, c’est être oubliée. Ses poèmes sont plus brefs, et plus
rares (un peu plus d’une centaine sur 5 ans, seulement 2 la dernière année),
quand elle pouvait en écrire entre 200 et 300 par an au milieu des années 1860.
Cette dernière partie de l’œuvre d’Emily Dickinson est marquée par une foi
désabusée et une croyance intacte dans le pouvoir de l’amour humain, elle porte
l’empreinte poignante d’une femme qui devient le dernier habitant d’une
existence qui se referme. Son écriture, plus émaciée, est celle d’une âme qui
s’accroche éperdument à la coquille de noix d’une vie qui chavire. Les poèmes
vont jusqu’à perdre leur vêtement de poème, ils se dépouillent en adresses
intenses et désespérées, en envois à des destinataires impossibles, dans une
ultime sublimation, au-delà du poème.